Le cadran solaire
Dans le puits du château de Logne, à 56 m de profondeur, a été découvert un cadran solaire portatif en laiton, associé à un mobilier abondant et varié qui ne peut être postérieur à 1521, date de l’abandon du site (1) . Ce cadran de poche circulaire mesure près de trois centimètres de diamètre, pèse environ dix grammes et comporte dix-sept graduations divisant à intervalle irrégulier la journée entre 4 h et 20 h (2).
Le cadran est construit selon deux plans, le plan horizontal du lieu où se situe son utilisateur et celui du méridien local. Il fonctionne grâce à un gnomon triangulaire rabattable. Avec les points cardinaux indiqués au fond du cadran et une aiguille aimantée aujourd’hui perdue, l’utilisateur oriente sa boussole vers le nord : le gnomon est alors parallèle au méridien et projette son ombre sur le plan gradué du cadran.
L’amplitude du gnomon correspond à la latitude à laquelle le cadran donne une heure exacte. En l’occurrence, celui-ci assure la ponctualité à une latitude nord d’approximativement 48°, celle d’Augsbourg et de Paris, où se développe dans la première moitié du XVIe siècle un grand intérêt pour les appareils de mesure.
Dès le XVe siècle, la production des cadrans solaires portatifs est illustrée par les manuscrits et l’iconographie. Pourtant, la rareté des exemples archéologiques antérieurs au début du XVIe siècle fait du cadran de Logne une découverte remarquable (3). La latitude à laquelle ce dernier donne l’heure exacte ne correspond pas à celle du lieu de découverte qui est de 50° Nord. En l’utilisant à Logne, son propriétaire perdait quelques minutes de précision, mais l’exactitude des horaires importait peut-être peu pour cet objet probablement plus ostentatoire que fonctionnel (4). Qu’un visiteur ait perdu cet objet de valeur est possible, tout autant qu’un
cadeau ou un échange. Cela témoigne de la mobilité des personnes et de leurs biens mais aussi de la large diffusion géographique de ce type d’instruments haut de gamme destinés à un public ciblé et susceptible de les diffuser (5).
D’ailleurs, Logne est jusqu’en 1521 un relais pour des voyageurs importants et les derniers seigneurs du lieu entretiennent sur plusieurs générations de nombreux contacts avec la couronne française (6).
La fabrication des cadrans solaires est connue par des traités médiévaux expliquant comment construire et tracer les plans de cadrans, d’astrolabes ou d’instruments complexes dont on peut parfois douter de la réalisation effective (7).
Ces traités sont aux noms des concepteurs spécialisés et généralement attachés à des centres de production où la demande est la plus forte tels que Jean Fusoris à Paris, Gemma Frisius à Louvain ou encore la famille Rienmann à Nuremberg (8). Au cours de leur carrière, quelques-uns deviendront davantage des concepteurs que des fabricants et traceront les plans sans parfois construire, faute de demande ou d’ouvriers suffisamment spécialisés et qualifiés (9).
Certains artisans sembleraient avoir eu leur matériau de prédilection comme l’ivoire ou le bois pour les compassiers de Nuremberg ou le métal à Augsbourg (10). Le cadran de Logne est fabriqué en laiton, alliage de cuivre et de zinc. Il est composé de sept parties dont cinq tôles d’abord fondues, martelées, découpées puis assemblées, nécessitant des savoir-faire complexes (11). C’est pourquoi, par exemple,Jean Fusoris, fils d’un potier d’étain, rejoint son père à Giraumont, à presque 80 kmde Dinant où ils s’approvisionnent en matières premières, notamment en laiton. Il y apprend pendant trois ans la fonderie et la fabrication des cadrans avant d’ouvrir un atelier spécialisé à Paris (12).
—
1. Le cadran est conservé au musée archéologique du château fort de Logne (n° inventaire PU-030327-02).
2. Ce cadran peut donner l’heure minimale du lever du soleil au solstice de juin et être utilisé jusque 20 h, heure du coucher du soleil en avril et en septembre. L’amplitude maximale du cadran est optimale durant les mois d’été. Ces heures désignent celles du temps solaire auquel il faut
apporter, pour être en accord avec nos montres, la correction d’équation du temps et celle de la longitude (+1 h dans ce cas) pour obtenir le temps universel.
3. Pour l’iconographie par exemple, la miniature flamande datée du milieu du XVe siècle dans le manuscrit Horologium Sapientiae du moine Henri Suso conservé à la bibliothèque royale de Belgique (ms. IV 111 f°. 13 v°) illustre un cadran horizontal métallique semblable à celui de Logne ; miLLe p., « Un cadran solaire de poche du XVIe siècle à Tours », Archéopages, 7, 2002, p. 4-10.
4. L’iconographie place ces cadrans aux côtés de scientifiques, notamment l’estampe de J.Van Stalburgh au milieu du XVIe siècle présentant le portrait de Gemma Frisius. Elle illustre l’attrait pour ces instruments mais ne restitue pas le cadre quotidien de leur utilisation. Même s’ils peuvent être utilisés pour aménager les journées selon des prières ou des rendez-vous, sans témoignage concret, il faut aussi admettre que ce sont peut-être aussi des objets de curiosité.
5. Poulle e., « Un atelier parisien de construction d’instruments scientifiques au XVe siècle », dans Benoit p., caiLLeaux d., Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Actes de la table ronde réunie à Paris le 23 mars 1984, Paris, 1988, p. 61-68.
6. Chestret de haneffe J. de, Histoire de la Maison de la Marck, y compris les
Clèves de la seconde race, Liège, 1898 (Société des Bibliophiles liégeois, 4), p. 152-162.
Clèves de la seconde race, Liège, 1898 (Société des Bibliophiles liégeois, 4), p. 152-162.
7. Poulle e., « Un atelier parisien de construction d’instruments scientifiques au XVe siècle », dans Benoit p., caiLLeaux d., Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Actes de la table ronde réunie à Paris le 23 mars 1984, Paris, 1988, p. 61-68..
8. Jean Fusoris (ca. 1365-1436), Gemma Frisius (1508-1555), Georges, Jérôme et Paul Rienman exerçant dans la seconde moitié du XVIe siècle : BORDEAUX 1907, p. 15.
9. Michel H., « Mercator, constructeur d’instruments astronomiques », Ciel et Terre, 78, 1962, p. 191-196.
10. Par exemple, un cadran en ivoire de 1563 fabriqué à Nuremberg est conservé au musée de Beauvais : BORDEAUX 1907, p. 1. Un autre en bois datant aussi du XVIe siècle a été découvert àTours : MILLE 2002, p. 4.
11. Le cadran de Logne est accompagné d’un élément circulaire, peut-être un ressort qui conduit à poser l’hypothèse d’une plaque de verre maintenue par ce dernier servant à garder en place
l’aiguille de la boussole. Aussi, un fragment de cercle en laiton découvert dans le même contexte pourrait être un couvercle, accessoire récurrent tout comme les étuis en bois : un cadran solaire
en bois similaire à celui de Logne accompagné de son étui a par exemple été découvert place des Terreaux à Lyon: COEURE et al. 1999, p.73.
12. Poulle e., « Un atelier parisien de construction d’instruments scientifiques au XVe siècle », dans Benoit p., caiLLeaux d., Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Actes de la table ronde réunie à Paris le 23 mars 1984, Paris, 1988, p. 61-68.
Référence de l’article :
SAUSSUS L. & WÉRY B., 2014. « Un cadran solaire portatif en laiton dans le puits du château de Logne ». In : THOMAS N., LEROY I. & PLUMIER J., 2014. L’or des Dinandiers.
Fondeurs et batteurs mosans au Moyen Âge, [Catalogue de l’exposition présentée à la Maison du patrimoine médiéval mosan, mars-novembre 2014], Bouvignes : Maison du patrimoine médiéval mosan, p. 79-80 (Cahiers de la Maison du patrimoine médiéval mosan, 7).
–
Cadran solaire, château de Logne
(Photo R. Gilles © SPW-DPat.)